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25 mars 2008 2 25 /03 /mars /2008 10:26

Je crois que mon père me hait.
D’une haine si forte qu’elle réinvente le mot nausée et établit le nazisme comme dessin animé.
Tout ça parce que j’ai accidentellement roulé sur maman en empruntant sans rien dire sa nouvelle Volvo flambant neuve. Est-il dépité d’avoir dû la vendre pour payer l’opération de ma mère ? Ou parce que j’ai visé le bassin au lieu de la tête ? Quoiqu’il en soit, depuis cette matinée bleutée de perles de pluies, il me hait.
On a toujours eu des rapports délicats, lui et moi. Lorsque j’étais encore un indomptable spermatozoïde, il se montrait violent, grossier, à la limite du viol. Toujours à me tripoter, cet incestueux pédophile. S’il s’est calmé après ma naissance, il ne m’a jamais vraiment accordé sa confiance. Ce n’est qu’en fermant les rideaux que je pouvais batifoler, à l’aube de son sommeil de plomb jusqu’au crépuscule de ses envies urinaires. Trois fois rien, donc, mon père pissant tout le temps, infatigable gladiateur de sa verge, tous les jours, du lundi au samedi, veni, vendredi, vessie.
Ses ronflements sont si forts qu’on regrette parfois de ne pas habiter près d’Orly. Mais, à Roubaix, point d’avion couvrant le son, point de mur étouffant l’essaim, juste le froid et l’effroi que laissait entrer mon père, les fenêtres ouvertes et les traces de bleus près de mes genoux.
Il ne me battait pas vraiment . Il a très vite compris que ses ceinturons saturaient de me voir insensible, a très vite cerné mon manque absolu de volonté et ma redoutable force de je-m’en-foutiste. On ne prend pas plaisir à frapper un meuble. Me voir sourire en pleine punition engrossait sa haine, et j’aimais ça, voir mon père souffrir de ne pas me faire souffrir.
 
Pour être franc, je préfère largement maman.
Surtout depuis qu’elle est tétraplégique. Elle m’engueule beaucoup moins souvent. Son cerveau se plaint encore des restes de l’accident. Moi qui ai toujours aimé les légumes, avec elle, je suis servi. A volonté. Les rares fois où elle articule, c’est pour cracher des noyaux de cerises. Elle est rigolote, elle me fait rire. Elle a su garder intact cet attachant sens de l’humour qui la caractérisait, autrefois, quand les brûlures de fer à repasser avait encore un effet sur ses sens. Sa compagnie est douce, reposante. Je la laisse des après-midi entiers devant Pink TV, lorsque je m’absente, avec un verre d’eau et des croquettes. Je laisse la porte ouverte, ça permet aux clochards de lui rendre visite, de l’égayer. Faut la voir, elle est mignonne, on dirait une peluche – sauf qu’elle fait davantage de bruits rigolos qu’une vraie quand on lui appuie dessus.
Elle n’a plus ses membres et ça me chagrine : je suis forcé d’aller ouvrir, quand on sonne à la porte. Mais je me cotise : je lui ai fabriqué un pot où je conserve mes rognures d’ongles, au cas où je lui trouve un bras. J’ai toujours été prévoyant, comme garçon.
Quand je m’ennuie j’emprunte son fauteuil et je fais des courses sur le parking de Leclerc, avec des potes. Mais leurs caddies sont plus rapides, les veinards. Maman est toujours ravie de me voir revenir, là où je l’avais laissée, sur le lit – ou sur la moquette, vu que parfois elle essaye de quitter le lit. A croire qu’elle en oublie qu’elle est tétraplégique !
Heureusement, je ferme toujours à clé la chambre. Faudrait pas qu’elle se fasse écraser en sortant de la maison par un chauffard inconscient.
 
Mon père est souvent en voyage, ce lâche.
Il ne pourra pas toujours compter sur moi pour maman.
Il dit que je suis un incapable, que je finirai seul. Comme une merde.
Effectivement, je suis un incapable, mais j’en connais beaucoup d’autres qui ne sont pas célibataires.
Il n’a jamais accepté mes petites amies.
Simplement un sourire, un bol de lait le matin, une tape virile dans le dos : j’attendais peu de sa part. Rien. Jamais. Never. Montluçon. Les entrées désireuses d’en sortir devaient subir, tout au long des repas avec mes ex, les admonitions de mon père, cruel et sournois, criminel et narquois, décibel et iroquois. Il bavait de mépris et secrétait des muqueuses, visqueux comme un rottweiler. Il les dévisageait tellement qu’elles devenaient hideuses, m’obligeant à rompre en plein dessert – ayant pour principe hygiénique de ne pas sortir avec des moches.
Les moches c'est fait pour rester dans le lit, pas pour se montrer. C’est comme les vieux t-shirts, tâchés, trop grand ou petit, hors de la mode et du temps que malgré tout on continue à s’enfiler. Pourtant j'en ramenais des cruches, des seaux, des puits d'incultures. Des canons, en plus. Obligé. Mais non, il les crochetait, leur demandait sans la moindre gêne de reposer le coffre à bijoux de maman dont elle ne sert pourtant plus.
Il était odieux, ils les traitaient comme des putes, alors que certaines n’étaient encore qu’étudiantes.
Un jour que j’exhibais une palourde aux cheveux noirs qu’on range communément dans la sous-famille des brunes de mer – parce qu’elle mouille à la moindre secousse vaguement romantique – papa a commencé à lui poser des questions dérangeantes, agressives, provocantes. Inqualifiables. « Et toi, tu penses quoi de l’état actuel du Modem ? Tu as vu la situation au Darfour ? J’ai beaucoup apprécié le dernier David Lynch, pas toi ? » La pauvre. La nature a horreur du vide. Mon père aussi, de nature.
Ma palourde a pleuré toute la nuit, pendant que nous faisions l’amour. Toute la nuit.
Maman est beaucoup plus docile, avec mes copines. Elle aime me voir aimé ; je le remarque à ses paupières, la rare chose qui bouge encore dans ce fauteuil. Nous dansons nus autour d’elle – mes copines sont généralement barges - et elle se tait, paraît m’approuver. Elle se tait, même quand je leur fais l’amour. Elle se tait et sourit, près du lit, clouée, l’air un peu absent. Et pleure. Toutes les nuits.
 
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commentaires

M
N'écoutez pas ce canidé aigri, je suis content de vous retrouver
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B
Tout ça pour parler d'amour filial. Tu sais, celui qui ressemble tant à la haine.Finalement, mon grand, tes parents t'ont bien élevé.  Tu es tout de même devenu Myblack!!!
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M
Et Teckel un scalp de rouflaquette dans un lac de maroilles... Faudra penser à vous faire piquer avant l'été.
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T
CQFD est au commentaire ce que la mimolette est au fromage...
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M
Je m'en suis pissé dessus tellement je suis fait comme un comte déshinibé à mort...Merci Lulla Paf pour la bd, elle fait bien plus réaliste biographiquement pour Myblack !!
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