Salut les pisseux, c’est moi, Gérard Crobard, le grand manitou du cinéma français. J’ai toujours considéré Jean Dujardin comme un gros con lourdingue qui fait prout sous la douche et Frédéric Beigbeder comme un puceau myope à pellicules prétentieuses ; mais je suis un professionnel et je vais néanmoins effectuer la critique de 99 francs sans partis pris déplacés, en me focalisant simplement sur l’affiche.
Le film semble se dérouler dans un supermarché de la région parisienne, à en juger par la géométrie du carrelage rappelant la ligne B du RER. Le personnage principal, un caddie à une roue, effectue ses courses hebdomadaires au rayon des acteurs bankables. Nous le devinons féminin :
- Elle occupe le devant de la scène, égoïste et fanfaronne
- Elle s’est arrêtée au stand Dujardin, célibataire et coquine
Sans doute a-t-elle craqué sur le jeans court et les lunettes d’étudiant en latin du produit. Ce côté mystérieux qui attire les femmes autour d’un capuccino sans sucre et qui finit, inlassablement, par conquérir leur mont de Vénus. Les hommes à lunettes, outre une intelligence évidente, marient le charme sensuel des latins, la rigueur métaphysique des nordiques et l’énorme kiki des ivoiriens, aussi énorme que le nom en caractères gras de Brice de Nice auréolant le chariot à roulettes.
Ceux de chez D’Aucy n’appartiennent pas au même monde. La boîte est plus grosse, s’impose sans demander la permission. On se sent attaqué, agressé dans notre chair. Les légumes sont arrogants, travaillent pour Technikart. On aurait aimé plus de chaleur, plus d’introspection autour de nos états d’âmes de consommateurs. C’est cette marque, que j’achète. Je n’ai pas le choix, mon Auchan ne propose qu’elle. Bonduelle a oublié d’y faire sa promotion. Alors je parcoure les dalles macabres en pensant à cette rondeur que je ne retrouve pas chez sa concurrente. « Oui, j’achète des petits pois, et j’espère y trouver l’amour ! », vocifère-je à tue-tête devant ces D’Aucy froides et glacées, bravant le mépris des passantes inconscientes qui choisissent ces légumes bankable. Le manège dure depuis des années, lentement mon corps s’est déshydraté à force de le combattre stérilement. Ils m’épient – de maïs -, rigolent de mon malheur en salivant leurs injonctions. « Cosse toujours, tu m’intéresses ! », j’hurle comme un loup, en rampant sur la devanture des robes. Mais je ne suis qu’un mouton qu’on empêche de brouter à sa guise, enfermé entre des réductions sur les yaourts et des murs aussi grands que leur indifférence. « Mais où es-tu, toi que j’aime, ma divine promise ? », je m’égosille, en lançant sur des retraités podagres ces D’Aucy qui ne font qu’un avec Dujardin. Chacun de leurs pleurs me fige davantage devant mon désarroi, et je leur supplie le silence. « Taisez-vous, taisez-vous, taisez-vous, petits pois insolents », j’impose, je gémis, plus fort encore que les vieillards en sang, en multipliant les coups des pieds, les côtes fêlées et les braguettes désagrégées, puis je vais prendre de la margarine, du pain et de la moutarde, car il est déjà 18 heures 50 et je meurs de faim, avec toutes ces émotions.
99 francs
Avec un caddie, des petits pois d’Aucy et des cadavres de grabataires
Durée : la vie entière