5 décembre 2007
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Crée en 1989 par le secrétaire général de l’ONU de l’époque, Javier Pérez de Cuéllar, la Journée mondiale de la délation fête aujourd’hui la fin de son adolescence.
Partant du fait que l’existence humaine est peuplée de trahison, de tracas et d’agressivités étouffées, l’ONU avait institué cette journée dans l’espoir de reporter le trop-plein de haine mondiale sur une seule date du calendrier. « Comme ça, les 364 autres jours, les gens s’aimeront et la paix régnera dans les deux hémisphères », avait déclaré Javier Pérez de Cuéllar le 21 septembre 1989, peu avant la chute du mur de Berlin.
Avec le recul, on constate deux choses :
- La Journée mondiale de la délation se pose bien en recordwoman de la délation, comme l’avait rêvé Javier Pérez de Cuéllar. 3,6 milliards d’insultes, d’anicroches, de dénonciations sont ainsi recensés chaque 21 septembre, sans discrimination de races ni d’adresses.
- Les 364 autres jours, bien qu’un peu moins bordéliques, oscillent tout de même entre 2,5 et 3,3 milliards de sarcasmes quotidiens.
C’est un peu le problème de ces anniversaires : ils font beau à la télé, tout en se montrant formidablement oiseux.
La journée mondiale de la femme n’empêche pas de l’aimer les autres jours. La journée mondiale de lutte contre le SIDA ne l’empêche pas de disparaître. Seule la journée mondiale du slip sur la tête conserve une légitimité, tous les 3 janvier – Coldplay se produira d’ailleurs en concert le 3 janvier à Paris : l’occasion de voir Chris Martin en sous-vêtement, enfin !
Pour éviter tout essoufflement l’ONU a prévu des aides financières pour tous ceux qui respecteront la doctrine de sa Journée Mondiale, des aides dégressives selon la nature de la délation : si la remarque désobligeante à un fayot se paye plutôt mal, le dénigrement cynique à tous électeurs de Ségolène Royal est fortement encouragé. Comptez ainsi quatre euros pour un simple « Ouah le nul il a perdu les élections », plus deux euros pour chaque « Bâtard » glissé.
Soucieux de respecter les fêtes de l’agenda, les Français défilent aujourd’hui dans la rue, assénant des contre-vérités aux voisins du métro, aux collègues du bureau ou au mec qui ose nous doubler quand on tente d’éviter la partie goudronnée des passages cloutés en traversant la rue en sautant sur les bandes blanches, ce salopard.
Nicolas Sarkozy en personne a tenu à anoblir l’évènement en offrant aujourd’hui une prime de plusieurs milliers d’euros aux balances qui dénonceraient les auteurs des coups de feu sur policiers, lors des feux d’artifices des 25, 26 et 27 novembre dernier.
Certains sont vraiment prêts à toutes les horreurs pour satisfaire aux besoins de la Journée mondiale de la délation.
Se moquer des gens est bénéfique.
Bénéfique pour eux : ainsi, ils se rendent compte de leurs erreurs, du pathétisme de leur vêtements, du grotesque de leur couleur de peau. Ils réfléchissent à la manière d’y résoudre, au meilleur moyen de raccommoder leurs faiblesses, à la façon dont ils vont bien pouvoir vous péter la gueule.
Bénéfique pour vous : c’est toujours marrant, de se moquer des gens. Ca met du baume au cœur, de la couleur au gris. C’était bien une métaphore.
Le Top 50 des personnalités que l’on doit railler à tout prix est en constante fluctuation depuis 2007. Ses figures sont principalement des jolies filles, des acteurs de séries télévisés ou des joueurs de football. On remarque la percée de Jean-Marc Morandini (4ème, +20 places), et l’apparition, en queue de peloton, de Myblack (43ème). L’ancien leader Grégory Lemarchal a par contre chuté de 16 places, à cause du trop plein de haine engendré par l’article de Myblack – expliquant d’ailleurs l’apparition de celui-ci dans le classement.
La question se pose alors, inévitablement : se moquer, d’accord, mais de qui ?
L’erreur consistant à vilipender le moindre croisé de sarrasin ou de tout autres vexations est fréquente ; elle vous fera davantage passer pour un gros con que pour un républicain partisan de l’application des coutumes calendaires. Le TOP 50 est une valeur sûre, à condition de varier les plaisirs : s’en prendre six fois de suite à un gros sous prétexte que Guy Carlier est 11ème est clairement une absence d’originalité. C’est même un peu lourd.
Inutile d’être grossier. Oh, oui, évidemment cela marque les esprits, mais c’est un peu se mettre au niveau de ceux qu’on ridiculise. Privilégions la finesse et l’ouverture d’esprit, en stigmatisant des peuplades rarement à la fête : les Andorrans, les vendeurs de kebabs, les bibliothécaires, les membres de jury d’examen. Bon, il y aura toujours des demandeurs, des arabes qu’on aimerait bien dénoncer pour gagner du temps, mais ce serait manquer d’ouverture d’esprit. Résister à la tentation et aux proies prises dans les pièges à loups fera de vous un homme respecté.
Ouais, parfois c’est vraiment trop tentant, je sais
L’avantage de cette journée, c’est qu’elle décongèle l’hypocrisie fâcheuse constipant les relations humaines. Lorsque la soeur d’un ami souffre d’un brossage de dents irrégulier, on tourne autour du pot, on n’ose lui dire de prendre un chewing-gum, on se contente de biser en apnée comme les huîtres. La journée mondiale de la délation fait du « Hey, Sabine, tu chlingues de la gueule » un art de vivre.
Alors, enculés de la terre, tendons-nous la main pour foutre des baffes à nos voisins qui l’ont bien mérité. Et sans barrières ni préméditations sociales, pour que l’égalité dans la critique émerge, enfin.
Post scriptum : Hell Man a une petite bite.