- « Et nous retrouvons Patrick en direct de Bigoudi-sur-Yvettes. Allo, Patrick, est-ce que vous m’entendez ? »
- « Et oui Guy c’est incroyable ce qu’il se passe actuellement, à quelques encablures de la place Aldo Maccione de Bigoudi-Sur-Yvettes, où je me trouve en compagnie d’une foule toujours plus nombreuse depuis que nos caméras s’y sont installés, il y a quatre jours. »
- « Patrick, alors, quelle est la situation a présent ? »
- « A vrai dire elle n’a pas bougé d’un iota : Ingrid Betancourt détient toujours en otage l’Aldi marché du coin et refuse tout début de négociation. »
- « Décrivez-nous un peu la scène, Patrick. »
- « Les vitres ont été obstruées par du papier-toilettes, alors que plusieurs Saupiquet à la tomate ont été catapultés sur le sol à l’aide de stylos surmontés d’élastiques. On dénombre pour le moment une dizaine de policiers blessés. »
- « Pour quand est l’assaut, Patrick ? »
- « Je l’ignore, Guy, mais je vais de ce pas m’enquérir auprès du sergent-chef Régis Beuveron, des forces armées locale. Régis, alors, en gros, que se passe-t-il ? »
- « Vous n’avez pas la télévision ? Ca fait quatre jours qu’on en parle. »
- « Non mais c’est pour nos téléspectateurs, là, Régis. »
- « Ah, oui, d’accord. Et bien Ingrid Betancourt refuse toujours tout assouplissement et campe sur ses positions, malgré nos incalculables efforts pour la ramener à la raison. »
- « Ingrid Betancourt montre-t-elle tes signes de coopération ? »
- « Aucunement. Depuis qu’elle s’est emparée de l’Aldi Marché après le départ des clients et de tous les employés du magasin, elle n’a pas quitté les lieux. Elle agit seul, refusant tous les appels téléphoniques et nos tentatives de dialogues. Ce n’est pourtant pas faute de se montrer compréhensif avec elle. »
- « Toujours aucun libéré, donc ? »
- « Non. Les terrines de sangliers et la mayonnaise en tube sont impossibles d’accès pour le GIGN, et les sauces exotiques sont empêchées de tout mouvement. Pire : selon nos informations, un pavé de cabillaud aux cèpes aurait été abattu par Ingrid Betancourt dans un excès de nervosité. »
- « Mon dieu, mais c’est affreux Patrick. »
- « Je ne vous le fais pas dire, Guy, je ne vous le… Ah ! Mais voici le sergent-chef Régis Beuveron qui saisi son magnétophone pour s’adresser à Betancourt ! »
- « Ecoute moi bien, connasse. Pour l’instant on a été plutôt gentil avec toi, mais je te préviens, salope : dans cinq minutes, si rien n’a bougé, je te défonce la gueule, à toi et tes gosses. »
- « C’est impressionnant de vivre ça en direct, Patrick. »
- « Tout à fait, Guy, tout à fait. Régis, alors, qu’attendez-vous d’Ingrid dans les cinq prochaines minutes ? »
- « Nous n’avons pas vocation à nous montrer violent. Néanmoins, si elle ne se rend pas dans les cinq minutes, j’ouvrirai personnellement la porte de l’Aldi avec un pied-de-biche et je lui dégommerai le visage à grand coup de matraque dans la tronche. »
- « Chef, chef ! »
- « Oui ? »
- « Ingrid Betancourt souhaite vous parler, chef ! »
- « Passez la moi ! Oui ? Bonjour madame. Comment allez-vous ? Oui ? Ah. Très bien. ? Oui, bien sûr. Bien sûr. Evidemment. Oui. Certes. Oui. D’accord. Très bien. Merci. Au revoir. Non c’est moi qui quitte en premier. Non, c’est moi. Allez, à trois. Deux. Allo ? Vous êtes là ? »
- « Alors ? »
- « Ecoutez, apparemment, après des années à bouffer des insectes et des pissenlits, elle a voulu soulager sa faim en prenant en otages ce supermarché. Elle réclame maintenant des moules. »
- « Des moules ? »
- « Oui. Pour faire passer les chips qu’elle a englouti tout à l’heure. BON, LES GARS, PASSEZ-MOI L’AMBASSADE DE BELGIQUE ! ET FISSA ! »
- « Patrick, que se passe-t-il chez vous ? »
- « Et bien Guy la police cherche actuellement à joindre Léon, l’ambassadeur de Belgique, pour intervenir auprès d’Ingrid Betancourt. Je pense que la situation devrait se décanter rapidement. »
- « Très bien Patrick, nous vous retrouvons après une page de publicité. »
- « De retour à Bigoudi-sur-Yvettes, où l’affaire Betancourt bat son plein. Patrick, y-a-t-il eu du nouveau depuis votre dernière intervention ? »
- « C’est incroyable, Guy, Léon de Bruxelles est entré dans l’Aldi Marché avec à son bras trois paniers de moules pas fraîches et il en est ressorti peu de temps après sans la moindre égratignures. Apparemment, il s’agissait là d’un piège : la police tente d’empoissonner Betancourt pour intervenir sans violence. Le sergent-chef Régis Beuveron a repris son magnéto en ce moment-même, nous l’écoutons.»
- « Ingrid, ici le sergent-chef Régis Beuveron. Ingrid, as-tu mangé les moules ? Ingrid ? Réponds, Ingrid : as-tu mangé les moules ? »
- « Alors ? »
- « Merde, elle ne répond pas. »
- « Réessayez, chef. »
- « Ingrid, je sais que ce tu vis est difficile. Ces dernières années n’ont pas été faciles pour toi. Tu as vécu l’horreur, l’enfer, cloîtrée dans une prison à l’écart de la civilisation et des plats à réchauffer au micro-ondes. Pourtant, Ingrid, nous sommes de tout cœur avec toi, Ingrid. Tout le monde te soutient dans ces moments difficiles, Ingrid. Regarde, Ingrid, voici ta maman. »
- « C’est incroyable, Guy, la mère d’Ingrid Betancourt.est bel et bien là, près du sergent-chef. Elle tient dans ses mains un emballage sous vide que j’ai du mal à identifier pour le moment. »
- « Ingrid, ma petite, c’est moi, ta maman. Je t’ai préparé du hachis. Rentre à la maison, maintenant. »
- « Du hachis, voilà. C’est du hachis. »
- « J’ai mis du thym et du persil, comme tu aimes. »
- « Du thym et du persil, Ingrid. Tu m’entends ? Du thym et du persil. »
- « Avec des noix de muscade. »
- « Avec des noix de muscade, Ingrid. Réponds-moi, bon sang. C’est le sergent-chef Régis Beuveron qui te parle. As-tu mangé les moules ? Je répète : as-tu mangé les moules ? »
- « Oui. »
- « Ingrid ! Bordel de merde ! »
- « Elle a répondu, Guy ! »
- « Ingrid ! C’est toi ? »
- « Oui oui, c’est moi. »
- « Est-ce que ça va ? »
- « Oui. Ca va. »
- « Ca va ça va ou juste ça va ? »
- « Ca va ça va. »
- « Bien. Y a-t-il des blessés ? »
- « J’ai mangé la moitié du stand légume, toutes les viandes, l’ensemble des fromages, des pâtisseries et des gâteaux, plus grignoté quelques trucs de droite à gauche. »
- « Comment se porte les pastèques ? »
- « Je les ai mangées. »
- « Et les Sodebo au jambon ? »
- « Il ne reste plus aucun Sodebo. »
- « Bon sang, ça doit être une véritable boucherie là-dedans, Patrick. »
- « Ecoute, Ingrid, nous te pardonnons. Ingrid, écoute-moi : as-tu mangé les moules ? »
- « Oui, j’ai mangé les moules. »
- « Bien. Ecoute, Ingrid. Les moules n’étaient pas fraîches. Tu vas rapidement tomber malade si personne ne vient te secourir. Alors reprends tes esprits et sors de ce putain d’Aldi Marché. »
- « Je peux pas. »
- « Mais si, tu peux. Tu peux, Ingrid. Il ne te sera fait aucun mal. »
- « Non, non, je peux pas. »
- « Ingrid, je sais que ce magasin regorge de mets délicieux dont tu avais oublié l’existence au cours de ces années d’emprisonnement. Nous comprenons ta démarche, Ingrid. Mais sache que dehors ta mère t’attends avec du hachis fait maison et que nous avons négocié avec des brasseries du coin : elles sont prêtes à t’offrir un menu à moitié prix si tu sors d’ici calmement. »
- « Lequel, de menu ? »
- « Celui à 16 euros entrée+plat+dessert. »
- « Cool. »
- « Oui, Ingrid, c’est cool. Maintenant, tu vas sortir de ce putain d’Aldi avant que je ne m’énerve. »
- « Non, je peux pas. »
- « Ingrid, tout est possible avec de la volonté. »
- « Ouais mais là non. »
- « Mais si, Ingrid. Il suffit d’y croire. Nous ne te feront aucun mal. Tout ceci a déjà assez duré, tu fais du mal à tes proches en agissant de la sorte. Tu en es consciente, Ingrid ? »
- « Oui. »
- « Bien. Sors, alors. »
- « Non, je peux pas. »
- « Mais si tu peux ! »
- « Non. »
- « Mais si tu peux !! »
- « Non, non, je peux vraiment pas. »
- « Si !! Je suis sûr que tu peux le faire, Ingrid ! Tu peux le faire ! Il suffit d’y croire, tu sais ! Tu peux le faire, Ingrid ! »
« Non, je peux pas. J’ai trop bouffé, je passe plus la porte du supermarché. »